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Questions et réponses de Bob Dylan
Par Austin Scaggs
(Rolling Stone du 17 novembre 2004)


Bob Dylan a prouvé que sa prose peut être aussi élégante que sa poésie. Dans son nouveau mémoire, Chronicles: Volume One, Dylan nous emmène dans un voyage circulaire à travers les périodes les plus intenses de sa vie professionnelle, de Greenwich Village en 1961 à sa retraite à Woodstock en 1968 et sa régénération à la fin des années 1980. Il s'agit moins d'une autobiographie que d'un document historique, une analyse philosophique et personnelle de la vie en Amèrique. Et elle vous fera tourner la tête.
Mesdames et Messieurs, un artiste de la Columbia : Bob Dylan vous dit bonjour lors d'un arrêt de sa tournée à Manhattan, au Kansas.



Dans "Chronicles" vous décrivez la technique de guitare que Lonnie Johnson vous a apprise. Seul un musicien sérieux pourrait comprendre le langage que vous utilisez. Pourquoi avoir choisi d'aller à un tel niveau de détail ?

J'ai pensé que cela servirait aux gens de savoir que j'ai un style structuré. Peut-être l'ai-je écrit pour les gens qui jouent d'un instrument. Certains pourraient le relever. Pourquoi? Trouvez-vous cela hors de propos?

Au contraire.

Je ne peux pas dire si un conducteur de bus trouverait cela intéressant. Pour moi c'était important.

Vous vous décrivez aussi regardant La Dolce Vita "attentivement, en pensant que je ne reverrai sans doute pas ce film". Avez-vous une mémoire photographique?

Je garde l'esprit ouvert. Je ne l'encombre pas d'un tas de choses. Je fais très attention à ce qui le distrait. Avec ce livre, j'essaie de transmettre un sentiment. Ce n'est pas le genre de livre où on parle d'une vie courte et joyeuse. C'est plus abstrait, étiré sur de longues périodes de temps. J'ai travaillé sur ce livre, si vous voulez l'appeler par ce nom, par motifs. J'y fais un portrait de la vie comme un jeu de hasard. Il marche à plusieurs niveaux, comme le font les bonnes chansons.

Vous parlez de la nuit où Woody Guthrie vous envoie à sa maison de Coney Island, pour chercher une boîte contenant des textes de ses chansons. Que serait-il arrivé si vous les aviez trouvés?

Je ne sais pas si j'aurais été capable d'en faire grand'chose vraiment, bien que je suppose que j'en aurais fait quelque chose. Je ne crois pas que j'en aurais fait un disque, comme ce disque qui est sorti finalement [Billy Bragg et Wilco's Mermaid Avenue Vols. 1 and II]. Qui avait vraiment entendu parler de moi?

Dans Chronicles, vous minimisez une grande partie de votre carrière. Suis-je idiot parce que j'aime "Street Legal", "Slow Train Coming" et "Infidels"?

Pas du tout. Je peux jouer ces chansons, mais je ne peux probablement plus écouter ces albums. J'y entendrai trop d'erreurs. Je m'étais laissé emporter par le courant quand je faisais ces disques. Je ne pense pas que mon talent était contrôlé. Mais il y a probablement de bonnes choses sur chacun. Shelley a dit que l'essentiel était de créer de l'art non prémédité. Je ne pense pas que ces enregistrements tombent dans cette catégorie.

Pour les paroles des chansons, est-il possible de faire mieux que "It's Alright, Ma"?

C'est dur de vivre après ce genre de choses. On ne peut pas le dépasser, ça n'est pas la question. Pour les paroles c'est indépassable, oui. Je joue toujours cette chanson, et je connais son effet. Cette chanson a été inspirée par une colère qui aurait brisée les murailles, c'était sa motivation.

Avez-vous déjà traîné avec Little Richard?

Ouais!

C'était comment? Lui avez-vous dit que dans le Livre d'or de votre école vous avez écrit que votre ambition était de faire partie de son orchestre?

C'est une personne fantastique. Un type très excitant, comme vous pouvez l'imaginer. Je ne crois pas lui avoir parlé du Livre d'or, je n'en avais pas besoin. Il sait que j'ai toujours été un fan de lui.

Dans votre livre vous ne parlez presque pas de quand vous jouez de l'harmonica. Quelles sont les soli dont vous êtes le plus fier, sur cet instrument?

Beaucoup, en fait. Je ne sais pas si fier est le meilleur mot.... Je joue de l'harmonica comme je joue du piano. Je n'écoute pas vraiment ce que je joue. Bien entendu, j'arrive à dire quand j'en joue mal, quand ça ne va plaire à personne. Ca pourrait plaire au plan technique, mais pas au plan des tripes. Si je suis sur le rythme, au premier ou au troisième temps, c'est à peu près tout ce que j'ai à faire pour que ça marche. Ca va former de soi-même une structure mélodique. Il y aura toujours quelqu'un pour en jouer mieux, mais on entend de grands musiciens jouer des choses extraordinaires, qu'on a oubliées deux minutes plus tard. Ces démonstrations ne m'intéressent pas.

Voici ce que j'en sais : Vous prenez l'avion pour l'Italie, passez du temps avec de belles femmes, vous grattez un peu et vous vous retrouvez dans une publicité de Victoria's Secret.

Ouais. Je n'aurais pas dû faire ça?

Ca m'a plu.

J'aurais bien voulu le voir. J'aurais pu avoir quelque chose à dire dessus. Je ne vois jamais ce genre de choses. C'est pour que les gens le voient et en fassent ce qu'ils veulent.

Pourquoi laissez-vous votre Oscar sur votre ampli de guitare?

Je crois qu'il y est soudé maintenant. Les gens qui travaillent avec moi dans les coulisses sont si électrisés de le voir qu'ils continuent à le mettre sur scène.

Quelle est la dernière chanson que vous aimeriez entendre avant de mourir?

Pourquoi pas "Rock of Ages"?

On m'a dit que vous avez écrit des chansons pour un nouvel album.

J'en ai un paquet. C'est vrai.

Quand les lancerez-vous?

Au début de l'année peut-être. Je ne sais pas quand ni où.

Pouvez-vous m'en parler?

Non, je ne pourrais pas vous les expliquer. Après les avoir écoutées, rappelez-moi. C'est difficile de les paraphraser ou de dire dans quel style elles sont. Vous ne serez pas surpris.

Pourquoi pas?

La structure musicale à laquelle vous êtes habitué, sera peut-être un peu réarrangée, mais les chansons elles-mêmes vous parleront.

Il y deux ans, je vous ai vu jouer au Festival Folk de Newport. La perruque et la fausse barbe, c'était pour quoi?

Est-ce moi que vous avez vu là-haut?



Traduction de François Guillez.

Rolling Stone


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